JULIEN DAILLERE: « JE CHERCHE UNE MARGE HEUREUSE POUR LE SPECTACLE VIVANT »

Artiste et chercheur, capable de passer du seul en scène déjanté en temps de pandémie à une profonde réflexion sur la culture de demain, le résident régulier d'Anis Gras nous décrit ses projets, depuis son nouveau port d'attache en Auvergne.

Lors de la résidence à L'Autre lieu © Benjamin Trouche
 « Étude des processus de création et de réception de l'œuvre scénique à travers la métaphore du système digestif ». Le sujet de la thèse soutenue par Julien Daillère en 2018, devenu ainsi doctorant en théâtre, symbolise à lui seul le personnage. Pour qui n'a pas fréquenté les bancs des universités, cela prête peut-être à sourire, mais oui la recherche scientifique concerne aussi les arts.

Il y a une semaine, Julien Daillère a passé trois jours dans l'Autre lieu, l'extension d'Anis Gras au cœur du Centre Commercial La Vache Noire. Une résidence pour préparer un nouveau spectacle, intitulé «Love is in the air», présenté ainsi par son auteur: « Du spiritus phantasticus au pet de l’ours au sortir de l’hiver, en passant par la contamination aérienne d’un virus respiratoire, comment brasser de l’air en toute quiétude aujourd’hui ». 

Dans son métier, Julien Daillère jongle allégrement entre l'humour potache, l'ironie, et les performances improvisées. Tout en réfléchissant activement et le plus sérieusement du monde à la place de l'artiste dans le monde actuel. 

Peut-on vivre, créer, travailler et penser dans les marges, en fluidité avec les centres, sans être ni absorbé, ni mis à l’écart par eux ?

Au cœur de sa réflexion depuis quelque temps: des chemins vers la «marge heureuse», un concept dont il est à l'origine. Les marges se définissent au regard des centres. Les centres concentrent les pouvoirs, l'argent, les institutions, les normes, des manières hégémoniques de penser. Marges et centres s'influencent, se nourrissent mutuellement. Julien Daillère a monté un groupe de recherche afin de viser leur « symbiose » plutôt que leur rejet mutuel et leur divorce.

Il espère parvenir à créer un lieu culturel du côté de Clermont-Ferrand, pour mettre en pratique ses espoirs pour la culture et en particulier les pratiques théâtrales.

La crise sanitaire actuelle a été l'occasion pour lui de révéler son talent et sa démarche.

On a pu découvrir ses courtes vidéos sur les réseaux sociaux, où grimé en VRP un peu ringard, il nous vantait à la manière du téléachat ses dispositifs Covid compatibles pour artistes en mal de scène : l'aspi-respi, l'inspi-vox ou le gonflonaute...

 
Vidéos "C'est très simple", co-réalisées avec Benjamin Trouche.

Potache oui et même hilarant: dans ces sketchs se dévoile en fait une habile ironie, ainsi que le début d'une préfiguration de la nécessaire adaptation du spectacle vivant sous la menace des pandémies. En premier lieu le sujet de la circulation de l'air dans les salles de spectacles sera crucial.

Embrassant le mouvement de notre époque, entre distanciation, numérisation forcée et évolution technologique des usages, Julien Daillère prône le « développement d’œuvres scéniques hybrides présentiel/distanciel, en multicanal, interactives, des œuvres polymorphes accessibles simultanément via différents canaux : en présentiel (coprésence proche ou éloignée, fixe ou mobile, directe ou à travers une façade vitrée, etc.) et en distanciel (via vidéo live, applications, réseaux sociaux, audio du téléphone, plateformes de jeux vidéo, radio/webradio, web-based live performances, etc.)

Une attention particulière sera donnée aux solutions low-tech (raisons économiques et écologiques) et aux solutions techniques permettant de s’affranchir le plus possible des géants du web».

La low-tech c'est aussi une façon de revendiquer le bricolage comme étendard de création. Au fil de sa carrière, Julien Daillère en est arrivé à se réaliser aujourd'hui dans des spectacles solos semi-improvisés et coopératifs où les spectateurs sont invités à en être aussi les acteurs. « Je me vois comme un chauffeur de salle et un chef d'orchestre à la fois », explique-t-il. « Aujourd'hui les frontières entre création, représentation, médiation et action culturelle sont de plus en plus floues ». Habitué des ateliers de pratique artistique, ou formateur d'animateurs de centres de loisirs, il est ainsi à l'aise dans beaucoup de costumes.

Cette richesse d'expressions et cette démarche globale ont très tôt séduit Anis Gras, Le lieu de l'Autre. « Ils ont été parmi les premiers à soutenir  "La Marge heureuse" et ils sont encore aujourd'hui un des principaux partenaires pour ce programme avec la ville de Clermont-Ferrand », s'enthousiasme le néo-Auvergnat, qui souhaitait un ancrage régional pour ses projets futurs.

Il faut prendre le temps de découvrir l'univers protéiforme de Julien Daillère. Un parcours passionnant  qui peut toucher tous les publics, sans cloisonnement pré-établi.

Ce jeudi, comme toutes les semaines, se déroulera sur le groupe facebook "Artistes au téléphone" qu'il a crée pendant le premier confinement, une session spéciale Nuit de la lecture, pour écouter et partager la lecture et l'écoute de textes, l'oreille lovée sur notre bon vieux téléphone... C'est ouvert à toutes et tous, inscrivez-vous ! 


 https://www.facebook.com/groups/artistes.au.telephone

 

 

 

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